Décidément, l’Académie des Césars n’a pas semblé vouloir mettre un terme aux polémiques. Le Prix du Meilleur Réalisateur décerné au cinéaste Roman Polanski – qui fait l’objet de nombreuses plaintes pour viol et agressions sexuelles – et son film J’accuse, a provoqué de vives réactions. A une heure où le mouvement Metoo ne cesse de dévoiler les mécaniques sexuelles qui gangrènent le monde du cinéma, octroyer le César du meilleur réalisateur à celui qui les incarne pose forcément question.
1977, Roman Polanski est contraint de quitter le territoire américain. Poursuivi dans une affaire de viol sur mineur, le choix lui est laissé entre l’exil ou la condamnation à une peine indéterminée - une procédure qui permet au juge américain de prolonger jusqu’à cinquante ans la peine d’un détenu. Le cinéaste déserte Hollywood et trouve refuge en France, pays dont il possède la nationalité et qui refuse d’extrader ses citoyens. La justice américaine ne voulant pas clôturer le dossier, les poursuites sont maintenues à ce jour.
Depuis la France Polanski continue de réaliser, et connaît un succès régulier tout au long des années 2000. Le Pianiste (2003), Oliver Twist (2005) ou The Ghost Writer (2010) comptent chacun plus d’un million d’entrées en France. J’accuse (2019), totalise lui 1,5 million d’entrées.
MeToo
En 2017, naît le mouvement #MeToo. Depuis, Les têtes tombent. Harvey Weinstein le premier, a été reconnu coupable le 24 février 2020 de viol et agression sexuelle sur deux victimes. Il risque jusqu’à 25 ans de prison.
Avec le mouvement #MeToo, le monde du cinéma est pointé du doigt. En France, Adèle Haenel dénonce dans une enquête menée par Mediapart (novembre 2019) les attouchements dont le réalisateur Christophe Ruggia se serait rendu coupable en 2002 sur le tournage du film Les Diables. L’actrice avait 12 ans.
La prise de position d’Adèle Haenel constitue un vrai tournant. S’il a semblé un temps que seul Hollywood était infesté de ces pratiques weinsteiniennes, il n’en est rien. Le cinéma français l’est tout autant. Le courage de l’actrice est à saluer, tout comme celui de chaque victime. Elles portent sur leurs épaules les maux les plus insidieux de nos sociétés. Anéantir ces derniers passe par une dure prise de parole.
L’artiste et l’homme
L’éternel débat revient immanquablement. Louis-Ferdinand Céline, Bertrand Cantat, Gabriel Matzneff ont tous vu leurs actes éclipsés par une forme de notoriété culturelle. Aujourd’hui, la société remet leur postérité en question. Faut-il séparer l’artiste de l’homme ?
Séparer, c’est admettre qu’il existe deux personnes, celui qui crée et celui qui est. Or l’un ne peut exister sans l’autre. Le créateur puise dans le vécu de l’existant, l’existant grandit des expériences du créateur. Lors de la cérémonie des Molière en 2017, Blanche Gardin relevait avec étonnement que ce dilemme n’existe nulle par ailleurs. Dans la société, le métier ne pardonne pas les actes. Faire une exception pour l’artiste est absurde. La médiatisation de tel film ou tel livre ne doit pas empêcher de condamner et encore moins excuser.
En décernant le César du meilleur réalisateur à Roman Polanski, l’Académie salue l’artiste ET l’homme. Quel message voulait-elle véhiculer ? Que si le talent est médiatisé alors il est possible de s’extraire de tout devoir moral, de toute bienséance, de tout respect envers les autres ?
Paradoxe ultime, la sélection des films se voulait imprégnée de tolérance et d'espoir quant à un futur plus juste. Pourquoi alors ne pas récompenser le formidable travail de Ladj Ly dans Les Misérables ou celui d'Eric Toledano et Oliver Nakache dans Hors-Normes ?
L’Académie des Césars a choisi la tourmente, tant mieux. Les scandales poussent au changement. Il est grand temps que celui-ci arrive.
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