Loin de son long métrage Mort sur le Nil, Kenneth Branagh décide de nous faire partager son enfance à travers un film d'inspiration autobiographique, Belfast, sorti en France le 2 mars dernier. Une enfance qui a, malheureusement, été marquée par la guerre civile en Irlande du Nord dans les années 60.
Irlande du Nord. Eté 1969. Le petit Bobby, alias Kenneth Branagh, a maintenant 9 ans. La période Troubles commence et elle ne s’achève que 30 ans plus tard avec la signature de ce qu’on appelle l’Accord du Vendredi Saint, le 10 août 1998. Cette période sombre voit les protestants et les catholiques nord-irlandais s’affronter durement et se solder par la mort de nombreux soldats et civils.
À travers les yeux du jeune Bobby, nous percevons la violence de ces combats, la méfiance qui règne au sein de la ville, mais aussi les rêves et les espoirs de toute une famille qui s'évanouissent à mesure que le temps passe et que la situation dégénère. Le réalisateur nous plonge dans cette atmosphère pesante avec une certaine légèreté en faisant le choix de nous révéler cette époque vue par le regard d'un enfant innocent.
"Belfast est le film le plus personnel qu'il m'ait été donné de faire, sur une ville et des gens que j'aime"
- Kenneth Branagh
Une enfance volée par la guerre
À travers le film, Kenneth Branagh nous livre le récit, ou plutôt son récit, de jeune garçon habitant à Belfast dans un quartier ouvrier. Ville composée aussi bien de catholiques que de protestants, elle voit s’affronter les deux camps. Des émeutes se déclenchent, des pillages et des incendies de voitures ont lieu. Des barricades se construisent et un contrôle d'identité à l’entrée de la ville est maintenant instauré. La peur règne dans une ville où autrefois les voisins étaient des amis, des compagnons. Où ils se connaissaient tous.
Ce bouleversement s’opère sous les yeux éberlués de Bobby qui ne comprend pas la situation. Pourquoi y a-t-il ces violences ? Quelle est la différence entre un catholique et un protestant ? À quoi les reconnaît-on ? Bien que leur religion soit différente, ils sont semblables. Même leurs prénoms se ressemblent. Alors, pour quelles raisons se battent-ils ?
L’enfant s’interroge et se questionne. Il est difficile pour lui de mesurer l’ampleur du contexte actuel. Vivant dans un quartier où il est libre d'aller et venir où bon lui semble, accompagné de sa cousine Moira, il est loin de se douter du changement qui se prépare.
Malgré tout, à travers ces yeux innocents, il constate bien vite que les choses évoluent. Le monde cruel qui l'entoure est bien celui des adultes. Son père rentre moins souvent à la maison, son frère est embrigadé dans des trafics en tout genre et il se retrouve contraint de voler des loukoums dans un magasin tenu par un catholique.
Une atmosphère calme dans un contexte glacial
Bien que le projet du réalisateur dénombre des scènes de violence, il reste calme et très léger, ce qui rend notamment le film accessible à tous, tout âge confondu. En effet, pour une période sombre qui a marqué le Royaume-Uni pendant 30 ans, le réalisateur l’aborde d’une manière totalement différente de ce qui a pu être fait précédemment, comme dans Bloody Sunday ou 71. Les révoltes sont prégnantes et représentées avec fougue et animosité. Ici, certaines scènes nous font oublier l’anxiété générale.
Les parents dansent avec passion, ils jouent de la musique, ils chantent dans la rue. Les grands-parents entament un solo sous l’air amusé du jeune Bobby. Les enfants se prêtent au jeu du saut en longueur avec Pa et Ma admiratifs. Sans compter que le petit bambin a un petit coup de cœur. Il cueille des fleurs des champs pour les offrir à Catherine, espère obtenir une bonne note à l'école pour pouvoir s'asseoir à côté d'elle.
Ces moments heureux sont ensuite rattrapés par la mort de Pop. Dans son lit d’hôpital, son fils et son petit-fils l'entourent et restent silencieux. Presque aucun mot ne sort de sa bouche, comme si le temps était suspendu. La présence de sa famille qui serre ses mains le rassure. L’atmosphère marquée par la quasi-absence de scénario aurait pu paraître pesante. Mais en aucun cas. Elle est sereine et figée comme une carte postale. Une carte postale nostalgique d’une famille, autrefois réunie.
Un choix de casting So Irish
Qui de mieux pour incarner des personnages irlandais que des acteurs eux-mêmes issus de l’Irlande. En effet, le casting est constitué seulement d'acteurs issus de la Nation du trèfle à trois feuilles !
Pour interpréter le jeune Bobby, Jude Hill, âgé de 11 ans, est sélectionné. Et on peut dire que le choix du casting est réussi. Avec sa petite bouille, son visage charmeur et son sourire malicieux, ce blondinet tient à la perfection son rôle. Il n’est pas difficile de s’attacher à lui ! Par ailleurs, malgré l’intimidation du jeune acteur quant à endosser le héros principal du film, il a su incarner son personnage avec authenticité. Une légèreté qui nous ferait presque oublier l’objet même du film, la guerre civile en Irlande du Nord.
En outre, c’est avec une certaine curiosité que l'on découvre Jamie Dornan et Caitriona Balfe dans les rôles de Pa et Ma. À noter que nous ne savons pas durant tout le film le prénom des membres de la famille de Bobby. Découvert à l’international dans 50 nuances de Grey, le britannique tient à merveille son personnage. Délaissant son costume bien taillé et ses airs de Don Juan, il se met dans la peau d’un père de famille protestant, travaillant en Angleterre, qui a du mal à finir ses fins de mois et croule sous les dettes. Pour échapper aux troubles de la ville, il décide d’emmener sa famille à l’écart. Néanmoins, le choix s’avère très difficile pour sa femme, car elle a peur de partir de son foyer.
Quitter ses habitudes et ses amis lui semble insurmontable et inenvisageable. L’actrice, connue pour son rôle dans Outlander, nous livre un portrait sincère d’une jeune mère de famille éduquant et inculquant les bonnes manières à ses enfants, qui montre une certaine bravoure face aux tensions suscitées dans la ville. Elle prend le quotidien avec énergie et pugnacité qui force le respect. Ciaran Hinds et Judi Dench prêtent quant à eux leurs traits au grand-père complice et à la grand-mère à la fois forte et adorable.
Une réalisation immersive
Le réalisateur nous immerge dans l’Irlande du Nord des années 60. En effet, à l’inverse des trois premières minutes du film qui sont en couleur, le reste du long métrage est en noir et blanc. Il nous montre le Belfast que l’on connaît et celui qui, pendant plusieurs années, a vécu les émeutes.
En outre, les plans de la caméra sont très singuliers. Kenneth Branagh fait énormément de gros plans sur les visages de nos personnages. Ainsi, il capte de façon plus fidèle les émotions qui s’y dégagent et la moindre expression est apparente. Un rictus, un haussement de sourcils : tout passe au crible. Il insère également un plan en contre-plongée -- lorsque la caméra est plus basse que le sujet et filme vers le haut.
Celui-ci est présent quand le grand-père de Bobby est mis en terre. De fait, il accentue l’effet dramatique de la situation. Sans oublier les nombreuses prises de vue subjective qu’il incorpore dans le film au travers du héros principal. Cela donne un effet très personnel et nous nous sentons comme aspiré dans le long métrage.
Kenneth Branagh nous partage donc une histoire très intime, celle de son enfance. Emplie de sincérité et de justesse, elle arrive à maintenir notre attention du début jusqu’à la fin. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les 7 nominations aux Oscars ne sont pas volées. Attendons maintenant de voir ce que vont donner les récompenses le 28 mars prochain.
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