Peintre américaine et spécialiste de photoréalisme, Betty Tompkins fait aujourd'hui partie des piliers de la peinture contemporaine. À travers les années, son travail est massivement censuré. Retour sur la carrière d'une artiste engagée.
Femme, artiste et féministe
Betty Tompkins naît en 1945 à Washington D.C, aux États-Unis. Elle vit et travaille à New-York, et à Mount Pleasant, en Pennsylvanie. Son travail a influencé une génération plus jeune, même si ses peintures -- à cause de leur contenu explicite -- ont été rarement montrées au grand public. Elle n’a cessé d’interroger avec persistance depuis les années 70 ce qui détermine les codes de représentation des corps féminins dans l’art et dans nos sociétés. Certains magazines la décrivent comme :
"Artiste emblématique et féministe, elle continue de défier le récit historique dominant de l’art. À mesure que les femmes se font de plus en plus entendre au sujet des problèmes auxquels elles font face, son travail résonne profondément"
- Widewalls
"Dire que Betty Tompkins avait une "route cahoteuse" sur son chemin vers l’acceptation artistique serait un euphémisme. En plus de devoir constamment faire face aux licenciements des galeristes, l’artiste a également dû subir des pressions massives des ailes féministes anti-pornographie". (Widewalls)
Entre corps et langage
Dans des peintures à petite et à grande échelle, connues pour leur rendu hyperréaliste et leurs scènes explicites, Betty Tompkins créer des représentations sans vergogne et sans tabou de la sexualité féminine.
Le texte et le langage sont aussi largement présents dans son œuvre, cherchant à confronter l'histoire de la misogynie dans le monde de l'art et l'objectivation des femmes. À ses débuts, Betty Tompkins pratique un expressionisme gestuel post-abstrait. À propos de ces techniques et des outils utilisés pour créer, elle utilise très rapidement l’aérographe et renonce au pinceau dans les années 60. À la fin de ces années, elle s’approprie l’image pornographique tout en la modifiant et devient sa source d’inspiration.
Sa vie, son œuvre
En 1969, elle entame la réalisation d’une série de peintures photo réalistes monumentales : les Fuck Painting, scènes de rapports hétérosexuels qu’elle découpe et recadre selon les images empruntées.
L’artiste débute cette série pour proposer autre chose que l’art établi de son époque : le pop art et l’expressionisme abstrait. Avec sa série Fuck Painting, elle connaît la censure à Paris en 1973. Ses deux œuvres présentées sont saisies par la douane française, car elles violaient la loi sur l’obscénité. Elle les récupère un an plus tard.
Tompkins a attiré une plus grande attention en 2002, lorsqu'une exposition solo à la Mitchell Algus Gallery de New York a réuni ses Fuck Paintings pour la première fois en public.
En 2002, elle démarre sa série Insults and Laments, afin de travailler la thématique du langage. En 2013, l’artiste demande à des personnes dans un courrier ouvert des phrases ou des mots renvoyant aux femmes. Là, elle place le langage dans l’élément central de son œuvre, nommée Women Words. Cette œuvre présente des chefs-d'œuvre d'artistes masculins, tels que Vénus et Adonis de Titien et La Nymphe Surprise d'Edouard Manet. Dans ces œuvres, des figures féminines sont couvertes de texte rose, attirant l'attention sur la façon dont le corps féminin a été objectivé sous le regard masculin dans l'histoire de l'art occidental. Ce travail a pour but de se réapproprier la violence et l’humiliation faites aux femmes. La série marque l’introduction de la couleur dans son travail plastique.
À la manière de Women Words, l’artiste se lance en 2018 dans le projet Apologia Works, où elle peint des excuses émises en réponse à des accusations de harcèlement sexuel contre des femmes. Le tout, sur des œuvres phares de l’histoire de l’art, qui mettent en vedette des femmes ou qui ont été créées par des femmes. Des œuvres d’artistes comme Angelica Kauffmann, Judith Leyster, Mary Cassatt et Caravaggio sont combinées avec des excuses de personnalités, telles que Chuck Close, Jens Hoffmann, Matt Lauer, Charlie Rose, R. Kelly et Mario Batali.
Pourquoi des mots sur les femmes et pas les hommes ? L’artiste répond : "Je recouvre les femmes parce que la langue nous définit. Les femmes sont définies par ce qui est écrit dessus. Elles sont oblitérées. Je me suis dit, eh bien, avec leur langue, les hommes ont oblitéré les femmes pendant des années. Donc, bien sûr, ça va aller sur les femmes". (Interview pour Bombmagazine).
Récemment, à la suite de la censure, elle entame Censored Painting, dont elle reprend la même composition et les mêmes dimensions que pour Fuck Painting. Cette peinture fait partie d’une nouvelle série entamée en 2019, à la suite d’une censure de son travail sur le réseau social Instagram.
Critiquée, mais exposée
Au centre de certaines polémiques et de nombreuses critiques, le travail artistique de Betty Tompkins reste tout de même visible aux yeux du public.
Mises en valeur en collaboration ou seules, ses œuvres sont admirables dans plusieurs pays du monde, dans des galeries ou des musées. Des lieux comme Mitchell Algus Gallery à New York, Galerie Andrea Caratsh à Zurich, Galerie Rodolph Janssen à Bruxelles, Freehouse à Londres et MO.CO Panacée à Montepllier ont accueilli son travail personnel entre les années 2002 et 2021.
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