Adieu Paris a fait son apparition mercredi 26 janvier dans les salles françaises. Réalisé par le sagace Édouard Baer -- acteur et réalisateur aux répliques cultes -- ce dernier se lance dans la réalisation d'une comédie tragi-comique qui risque de faire grincer quelques pivots.
Le film est composé d'un casting cinq étoiles, réunissant des pointures du cinéma et du théâtre français. Parmi eux : Pierre Arditi, Daniel Prévost, Bernard Le Coq, Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, François Damiens, Jackie Berroyer, Isabelle Nanty, Bernard Murat et Édouard Baer lui-même.
Le scénar'
Ces virtuoses du septième art débarquent un à un dans un bistro parisien au charme intemporel, faisant office de lieu de rendez-vous de ces vieux copains. Néanmoins, les retrouvailles ne se passeront pas comme prévu. En effet, c'est accoudés au bar que les acteurs chevronnés attendent celui qui entrera dans le cercle et qui fera partie de la bande.
Benoît (interprété par Benoît Poelvoorde) pense être l'invité attendu, mais ce dernier se rend rapidement compte qu'il n'est pas l'invité désiré et est à peine considéré – pour ne pas dire méprisé – par ces hommes expérimentés. Erreur d'invitation, quiproquo, Benoît se fait rabrouer par Jacques (interprété par l'excellent Pierre Arditi), et se voit dans l'obligation de faire bande à part à défaut de faire partie de la bande...
Soutenue et encouragée par Isabelle (interprétée par Isabelle Nanty), Benoît se voit dans l'impossibilité de faire marche arrière et se cantonne à boire des verres au bar, pendant que la bande apprécie et déprécie son repas dans la pièce d'à côté. Un convive manque à l'appel : Michael (interprété par le touchant Gérard Depardieu). Celui-ci ne parvient pas à se décider s'il doit ou non se rendre à ce rendez-vous. Le personnage est figé, ancré et statique, comme immobilisé par l'interrogation : faut-il que j'aille à ce dîner ? Pourtant, ce dernier est bel et bien attendu, contrairement à Benoît qui lui, est laissé sur le carreau.
"L'âge, c'est dans la tête"
Tourmentés par le temps qui passe, les acteurs réfugient leur anxiété dans la drogue, la drague, l'antipathie, l'hystérie, l'art, la perdition... La formule "L'âge, c'est dans la tête" apparaît comme un leitmotiv qui vient rassurer ces vieilles âmes en peine, même si la devise vient également souligner une hypocrisie insupportable, ne serait-ce que par l'aspect physique changeant dû à l'âge.
La réunion varie selon le degré de frustration et la capacité de l'un et de l'autre de sauver la face. Entre les crises d'hystérie de Jacques sur les abattoirs, ses précieux "poireaux vinaigrette", ce dernier passe pour le dur à cuire plein de cran qui n'hésite pas à dire les choses en pleine face – notamment à Benoît. Mais ce comportement fantasque camoufle une probable perturbation des habitudes d'antan.
Aussi, la pathétique et piteuse démonstration de drague de Pierre-Henry (Bernard Le Coq), pour se rassurer lui-même et surtout pour montrer à ses compères qu'il est toujours capable de séduire et de plaire. Véritable concours de circonstance, entre celui qui capitulera le premier, on peut déduire qu'il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.
Le dîner de cons
Le film donne la vive impression d'être au théâtre, de par la notion du huis clos, mais aussi de par le moment et l'instant d'un déjeuner. En tant que spectateur, nous sommes poussés à nous questionner et nous interroger sur le sens des événements du scénario. Le spectateur se voit comme invité et rejeté, et à la fois aucun des deux.
Il est intéressant de constater le choix de l'incarnation des acteurs, ne jouant pas vraiment leur propre personne : Michael, Jacques, Alain, Pierre-Henry, etc. Contrairement aux attentes (et à la bande-annonce) qui laissaient penser que les acteurs joueraient leurs propres rôles. Le film est constitué de scènes qui laisse suggérer la notion de l'imposture : qui est qui ? Qui sont nos amis ? Qui suis-je ?
Des tonnes de questions existentielles semblent surgir en fond d'écran de la vie des septuagénaires, ces dernières étant plus qu'insupportables puisqu'elles définissent l'effet de l'usure, de l'âge et remémorent la fatalité de la vie auquel chaque être est confronté.
Pierre Arditi dramatise et postillonne à tout va, Bernard Le Coq dragouille la serveuse pour montrer à ses amis qu'il plaît toujours, Daniel Prévost est un acrimonieux incompris, Bernard Murat se planque pour sniffer de la coke, Jackie Berroyer déprime et bafouille pendant que Benoît Poelvoorde noie sa peine, accoudé au bar avec Édouard Baer, grand sauveur de l'amertume et humiliation expérimenté par Benoît.
Le film est hilarant et laisse en même temps un arrière-goût âpre, comme si un simple déjeuner entre amis peut à la fois faire relativiser ou dramatiser la fatalité de la vie. Il est jouissif de découvrir ce casting de talent composer ensemble, comme quoi les craintes, les angoisses, l'agitation n'épargnent personne et peuvent affecter les plus grands. Mention spéciale pour la scène de contemplation de Gérard Depardieu sur les toits de Paris et pour la façon dont détonne Benoît Poelvoorde, cet homme chante faux et c'est étrangement magnifique.
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