Commandé en novembre 2018 par l’Église catholique de France, le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) a été rendu par son président, Jean-Marc Sauvé, le 5 octobre dernier à la Conférence des évêques de France (CEF).
Qu’est-ce qui choque dans la vérité sur les violences sexuelles sur mineurs au sein de l’Église catholique, de France et d’ailleurs ? L’acte même, cela va de soi. Ce qui révolte, c’est le système qui a protégé les agresseurs. Pas les personnes victimes. Les agresseurs. La raison ? Une institution millénaire qui, quoi qu’il en coûte, a toujours préféré se protéger du scandale plutôt que d’éradiquer ceux le causant.
Grâce au rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) rendu le 5 octobre 2021, les données, donc la réalité de ce phénomène, sont désormais connues et chiffrées. En France, cette "chape de silence" a engendré, entre 1950 et 2020, 330 000 victimes agressées sexuellement alors qu’elles étaient mineures au sein de l’Église catholique, dont le tiers par des laïcs. La grande majorité de ces victimes sont des garçons de moins de 15 ans.
3 200 pédocriminels au sein de l’Église
Le ratio entre victimes et agresseurs est tout autant vertigineux : ces 330 000 personnes ont été les victimes d’actes abusifs commis par au moins 3 200 religieux et laïcs. C’est-à-dire qu’un seul pédocriminel, au sein de l’Église, agresse 10 enfants. Minimum. La Ciase peut alors affirmer que "l’Église catholique est, hormis les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée".
Le "rapport Sauvé" identifie les changements de traitement de ce "phénomène massif" par et au sein de l’Église. Grâce aux entretiens avec des prédocriminels, à la consultation de milliers d’archives tout comme à l’étude de dossiers judiciaires, le rapport constate une diminution dans le temps des abus sexuels. Néanmoins, toujours d’actualité.
"Protection de l’institution [et] du scandale"
Entre 1950 et 1970, l’Église s’est concentrée sur "la protection de l’institution [et] du scandale, tout en essayant de 'sauver' les agresseurs", via des mécanismes "d’occultation du sort des personnes victimes, invitées à faire silence". Les vingt décennies suivantes sont marquées par un rejet global du phénomène. Puis une "prise en compte de l’existence des personnes victimes", à partir des années 1990, sans toutefois les reconnaître ou les écouter.
Ce n'est qu’au début des années 2010 que l’Église catholique de France commence à connaître un "développement des dénonciations à la justice, des sanctions canoniques et du renoncement au traitement purement interne des agresseurs".
Ce 19 novembre, l’Église de France annonce la création d'une "commission indépendante de reconnaissance et de réparation", comme l'indique la Conférence des religieuses et religieux de France (Corref). Une nouvelle recommandation de la Ciase suivie par l'institution. Sa mission ? Reconnaître les victimes, les écouter voire leur proposer une "médiation" avec la congrégation concernée.
Le temps de réaction de l’Église est lent. Très lent. Quoiqu’à l'échelle de cette institution, doublement millénaire, cela semble bien rapide. Là est le problème : ce décalage, entre la réalité de nos sociétés actuelles et l’institution, pointée du doigt par le "rapport Sauvé" comme "racine de ce mal". Les causes ? Un "droit canonique" en inadéquation avec les "standards" de la justice humaine, la "sacralisation excessive" des hommes d’Église, en en faisant des personnes intouchables - messagers du Divin qu'ils sont -, la "survalorisation du célibat" et le "détournement des Écritures", réinterprétées à loisir par les pédocriminels pour servir leurs mécanismes de manipulation.
Trop lente et réagissant de façon "inégale selon les diocèses", l’Église ne fait pas assez. Dans ses 48 recommandations, la Ciase donne à l’institution des pistes pour sanctionner, indemniser, former et prévenir. Elles sont le résultat de 26 000 heures de travail, réparties sur trois années, ayant mobilisé l’action de 21 bénévoles, ayant recueilli les témoignages de 174 victimes et 11 pédocriminels. Le tout pour un budget total de 3,8 millions d’euros, entièrement financé par l’Église catholique de France.
Reconnaître ses responsabilités
Parmi ces mesures, il semble impératif que l’Église reconnaisse d’abord ses responsabilités, autant sur le plan judiciaire que sur les plans sociaux et civiques. L’institution a échoué dans la protection de certains de ses fidèles ; à jamais marqués par ces abus. La Ciase encourage d’ailleurs la tenue de cérémonies officielles de reconnaissances : la première a eu lieu à Lourdes, le 6 novembre, en hommage aux victimes de pédocriminalité.
Aider les victimes, c’est sûr, mais comment ? D’abord, en permettant l’accès à toutes archives nécessaires au bon déroulement d’enquêtes judiciaires, même sur des affaires dites prescrites. Afin de considérer les victimes et de leur permettre une réparation symbolique.
Financière également, en considérant chaque cas avéré d’abus sexuels dans l’Église d’après ses spécificités. Le seul mode de financement suggéré par la Ciase est l’utilisation des fonds patrimoniaux des agresseurs, auxquels s’ajouteraient le fonds de dotation de la Conférence des évêques de France (CEF). Celle-ci a toutefois réfléchi, après remise du rapport, à demander l’aide des fidèles, ce qu’avait exclu le "rapport Sauvé", considérant qu'ils n’avaient pas à participer à un problème ne concernant que l’institution même.
Inadéquation avec la réalité
L’Église se doit, selon la Ciase, de refondre en profondeur ses mécanismes de gestion, aujourd’hui obsolètes, d’acter une "séparation des pouvoirs" et d’accueillir en son sein des laïcs en général, des femmes en particulier. Les sanctions doivent, elles, être rapides et efficaces. Revisiter le droit canonique, d’abord, en définissant clairement les infractions à l’intérieur de ce nouveau code du droit canonique, avec des "échelles de gravités". Cela permettrait de mieux identifier les situations ambiguës et de plus clairement les sanctionner, si besoin.
Mais surtout, l’Église catholique de France doit dépasser le "secret de la confession", récemment considérée par Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, comme étant "au-dessus des lois de la République". Selon le rapport, la confession "ne peut permettre de déroger à l’obligation […] de signaler aux autorités […] les cas de violences sexuelles sur mineures".
L’Église a, depuis plusieurs décennies, des problèmes de recrutement. C’est pourquoi les critères de recrutement et de formations actuels sont si faibles, en inadéquation avec la réalité. Preuve en est que le "rapport Sauvé" propose la création d’un réseau de communication entre institutions d’Église, afin d’éviter de recruter des éléments rejetés ailleurs. Également une "formation continue sur les violences sexuelles", sur les "droits de l’enfant" ou sur les "obligations de signalement à la justice".
Autant de pistes, de mesures, de suggestions qui semblent (trop) évidentes pour n’être soulevées qu’aujourd’hui. "L’avenir ne peut se construire sur le déni ou l’enfouissement de ces réalités douloureuses, mais sur leur reconnaissance et leur prise en charge", conclut la Ciase.
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